Irène Frain s’est plongée dans les archives d’un navire français disparu en mer en 1761 pour vous offrir ce roman historique « les naufragés de l’île Tromelin ». L’esclavage et l’humanité sont au cœur du récit.
Décidément, l’Océan indien devient l’un des fils rouges de mes lectures. Fondé sur des faits réels et suite à un voyage exceptionnel sur cet ilot inhospitalier, Irène Frain partage cette effroyable épopée dans ce roman d’aventure : « les naufragés de l’île Tromelin ». C’est l’histoire de 140 marins français et 160 captifs embarqués illégalement à Madagascar. Quand la tempête se déchaîne, le navire se fracasse sur un banc de corail : ils sont environ 210, dont 80 esclaves, à regagner le rivage. Mais comment survivre et quel espoir de retrouver la terre ferme ?
La présentation du roman « Les naufragés de l’île Tromelin »
« En 1761, un navire français transportant une cargaison clandestine d’esclaves s’échoue sur une île perdue de l’océan Indien. Blancs et Noirs devront cohabiter pour survivre jusqu’au départ, sur un bateau de fortune, de l’équipage blanc, jurant de revenir. Quinze ans plus tard, il ne reste que huit survivants. Que s’est-il passé sur l’île ? Pourquoi la France les a-t-elle abandonnés ? Comment cet épisode a-t-il ébranlé les consciences au point de déclencher le combat des Lumières pour l’abolition de l’esclavage ? »
Mon avis sur ce roman historique
A quoi tient l’humanité ? Comment peut-on abandonner d’autres hommes et femmes sur une terre hostile sans revenir les sauver alors qu’on vient de leur faire la promesse ?
Le roman dresse un portrait sans concession des marins français, qui avaient embarqué clandestinement des esclaves pour les revendre et qui les ont utilisés une fois le bateau échoué pour construire un navire de fortune… et les abandonner sur place. Le récit tourne autour de la vie à bord du bateau avant la tempête puis une fois tous les protagonistes présentés, le chaos arrive. « Cap à l’est ! » scandera obstinément le capitaine Lafargue… contre l’avis de Castellan, son premier lieutenant qui voit la catastrophe arriver sans pouvoir l’éviter.
En découvrant le récit du bateau pulvérisé par l’intensité de la tempête et la dureté des premiers jours de survie sur place, on se dit qu’une entente devrait se créer entre tous, marins blancs et esclaves noirs, au moins pour leur survie. Il n’en est rien :
- Une fois l’effarement dépassé, les blancs remettent en place leur système bien rodé de domination sur les esclaves. Ils récupèrent les denrées, les matériaux, les barils de boissons et les gère, toujours en leur faveur.
- De leur côté, les esclaves organisent une vie à l’opposé de l’île, où l’entraide leur permet de surmonter tant bien que mal les jours. Ils acceptent même d’aider leurs tortionnaires à construire un bateau pour rejoindre La Réunion. Qu’ont-ils à perdre au fond ? Quitte à s’épuiser autant qu’une lueur d’espoir d’être sauvés subsiste ?
Mais le jour J, le bateau n’est pas assez grand pour les embarquer tous, malgré la volonté de quelques marins, Castellan en tête. La promesse est faite d’envoyer un bateau rapidement. On suit alors les négociations et les états d’âme des survivants qui ont promis mais ne trouvent pas de solution aussi vite que ce qu’ils pensaient. Qui voudrait investir dans un bateau pour récupérer des esclaves sur un bout de terre que personne n’a réussi à situer précisément sur une carte depuis des décennies ? La réponse est glaçante : personne.
Si le récit des naufragés français aiguise la curiosité, nombreux sont les sceptiques qui doutent de la réalité des faits. Peu de colons se sont indignés du sort des esclaves, jugés comme des marchandises perdus et non des humains.
15 ans. Les esclaves vont attendre 15 ans. A force de ténacité, Castellan a tenu sa promesse, mais trop tard pour sauver tous ceux qui avaient permis la survie de nombreux marins. Quand le bateau du capitaine Tromelin reviendra enfin les chercher, ils ne seront plus que huit, 7 femmes et un nourrisson sur plus de 70 personnes laissées sur place. Une fois débarquées sur l’île de France (ancien nom de l’île Maurice), elles ont été déclarées libres.
Quatre campagnes de fouilles terrestres et sous-marines menées sur place entre 2006 et 2013, ont mis en avant les objets du quotidien et l’organisation de constructions qui laissent penser que les esclaves avaient créé une micro-société. Castellan et une poignée de ses compagnons avaient compris sur l’île que noirs et blancs étaient frères, et que l’esclavage était un crime. Condorcet s’appuya sur le récit et les rumeurs liés à ce naufrage pour sensibiliser aux atrocités qui continuaient d’être perpétrer dans les îles, aussi bien aux Antilles que dans l’Océan indien. Le 4 février 1794, l’esclavage est aboli par décret.
Merci à Irène Frain pour ce récit passionnant, émouvant qui dresse le portrait d’esclaves emplis de bonté et d’humanité, deux qualités qui semblaient faire défaut à la grande majorité des colons français.
Bonus : les éditions Belin ont également publié un roman jeunesse sur les naufragés du Tromelin : « les Robinsons de l’île Tromelin »
Sandrine Damie
Les naufragés de l’île Tromelin
D’Irène Frain
j’ai Lu
7,60 euros