Haïti : « Sauvageries » de Frédérique Deghelt


Roman Sauvageries de Frédérique Deghelt

Tout le monde connait la version de l’histoire de la conquête du « nouveau monde » par Christophe Colomb. Et si le temps était enfin venu d’écouter l’histoire du point de vue de ceux qui l’ont vu débarquer ? Le roman « Sauvageries » de Frédérique Deghelt donne la parole à une femme du peuple Taïnos qui raconte avec nostalgie et lucidité la vie d’avant… et celle d’après la conquête espagnole.

Mon avis de lecture du roman « Sauvageries »

Chamane du peuple Taïno, Taïna vit sur une île des Grandes Caraïbes au 15e siècle, celle qui deviendra Haïti. L’arrivée de colons espagnols va bouleverser le paisible équilibre de sa communauté. En couchant sur papier l’histoire de son clan, Taïna transmet cette culture et le récit de ceux qui l’ont précédée et qu’elle a aimée. Aujourd’hui, seule sa voix porte celles de milliers d’autres, morts de la colonisation espagnole dans l’indifférence générale.

Dans son récit intimiste, elle décrit un quotidien joyeux, avec un respect de chacun et de la nature. À l’arrivée d’une poignée d’hommes venus d’une autre terre, telle une ethnologue, elle dissèque le mode de vie des Espagnols qu’elle apprend au contact quotidien d’un captif, pris sous son aile. Puis, débute le chaos avec le retour de Colomb.

Le roman explore les thèmes de la rencontre entre deux cultures, la brutalité de la conquête espagnole, et la force de la transmission culturelle et spirituelle à travers l’histoire de cette femme qui résiste à l’annihilation de son identité.

Dans la première partie, Taïna fait un parallèle entre la vie de sa communauté et celle des Espagnols en discutant avec Diego, espagnol arrivé sur place, qui devient rapidement son mari et embrasse le mode de vie des Taïnos. La mise en avant des deux cultures est enrichissante, et montre combien les coutumes espagnoles peuvent être perçues de façon incongrue par un autre peuple. C’est très intéressant.

Dans la deuxième partie, la lecture est un déchirement. On assiste impuissants à l’extermination des Taïnos et au « repeuplement » par des esclaves d’Afrique, jugés plus dociles et surtout ne pouvant pas revendiquer cette terre. L’horreur dans son absolu. Seule lueur d’espoir dans ce chaos, Diego et Bartolomé (moine espagnol), soucieux de l’avis et de la vie des Taïnos. Mais comment faire entendre sa voix quand l’envahisseur n’en a que faire ?

Citations : de la félicité au chaos

Avant l’arrivée des colons, la vie sur xx ressemblait à cela sur l’île de Quisqueya :

« Si Mâa désirait que j’aille chercher des plantes afin de soigner les nouveaux malades, elle savait où me trouver. Si elle ne venait pas, je passais toute la journée dans les champs avant les jeux et les chants du soir. Je semais, récoltais, dégageais les herbes qui étouffaient les plantations avec les autres femmes ; puis nous nous reposions pendant un moment, nous nous racontions des histoires en nous balançant doucement dans les hamacs qui flottaient à l’ombre des grands amaceys parfumés bordant les champs. Chacune travaillait à son rythme et selon la force joyeuse dont elle disposait ce jour-là. Il ne serait venu à l’idée de personne de surveiller les autres ou d’émettre le moindre jugement sur leur travail. Nous savions ce que nous pouvions donner et nous l’offrions de bon cœur. »

Et puis en 1496, lors du 2e passage de Christophe Colomb :

“Qu’est-ce que je fais nu ? Obligé de combattre les miens pour sauver ma femme et mon enfant de ceux
qui volent leurs vies et leurs terres ? Est-ce que la réponse n’est pas dans la question ? Que s’est-il passé pour que notre noble conquête devienne cette insupportable invasion ? N’étais-tu pas sur le premier bateau à mes côtés ? Te souviens-tu de notre fascination en découvrant ces êtres doux, joyeux, ccueillants ? Notre émerveillement en les voyant vivre, danser, chanter ? Cristobal ne l’a-t-il pas écrit dans son Journal ? Ce passage qu’il nous a lu à haute voix en nous demandant s’il pouvait le recopier pour
le faire parvenir à la reine dès que nous serions rentrés ? »
.

Pour donner vie à ce roman, Frédérique Deghelt a passé de longues heures à lire les journaux de bord des conquérants et aussi les écrits des religieux de l’époque, comme ceux de Bartolomé de las Casas (qui a une place dans son récit fictionnel).

Un roman bouleversant car son sujet est éminemment contemporain.
Sandrine Damie

« Sauvageries » de Frédérique Deghelt
Editions Actes Sud
21,80 €


Roman Sauvageries de Frédérique Deghelt
Étiquettes : ,

1 thoughts on “Haïti : « Sauvageries » de Frédérique Deghelt”

  1. Bonjour,
    Je viens de découvrir votre blog, j’aime beaucoup !
    J’ai un livre qui pourrait vous intéresser : Errances dans le Japon mystique. L’auteur, richard Collasse, propose de découvrir le Japon à travers ses sources sacrées et religieuses peu connues du grand public. Il paraîtra le 9 avril prochain.
    N’hésitez pas à me contacter pour plus d’informations.
    Bonne journée

Laissez-moi un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.