Sophie Noël était sur le point d’aller chercher sa 2e fille en Haïti quand un séisme a dévasté l’île… et a mis un terrible coup d’arrêt à leur projet de vie. Zoom sur ce court roman d’une grande pudeur porté par la voix de sa fille aînée…
Professeure des écoles, vous êtes également auteure pour la jeunesse. Vous avez un goût certain pour les contes. Qu’aimez-vous particulièrement dans les contes ?
Quand j’étais étudiante à l’Ecole normale, mon sujet de mémoire de fin d’études a été la psychanalyse des contes de fées. C’est un sujet qui me passionne, car il est sans fin et très riche !
J’ai appris alors toutes les vertus des contes sur les lecteurs. L’une d’elle est que le conte traite des questions fondamentales de l’homme sous une forme merveilleuse, et offre à celui qui l’écoute la possibilité de vivre des émotions proches des siennes transposées sur un autre, comme un médiateur. Ca construit, rassure et déculpabilise.
Il y aurait encore beaucoup à en dire, mais il suffit de regarder les enfants (et les adultes) écouter un conteur, et on aura compris pourquoi les contes, c’est si fabuleux !
Quels sont les thèmes sur lesquels vous aimez écrire ?
J’aime écrire sur tout, mais principalement sur des sujets qui font réfléchir les enfants. Ce que je m’efforce à faire, c’est traiter des sujets fondamentaux avec optimisme et bonne humeur, en alternant les émotions. Je m’exerce à une écriture qui, comme dans les contes, en dise plus qu’il n’y paraît, avec force et pudeur.
J’ai bien sûr des thèmes de prédilections, selon mes propres convictions, et j’écris souvent sur l’enfance, la différence, la solidarité, la défense des animaux et de l’environnement.
Pourquoi écrivez-vous pour les enfants (et pas pour les adultes) ?
J’écris aussi pour les adultes, mais je n’ai pas encore été publiée.
Mais c’est vrai que j’aime particulièrement écrire pour les enfants, car cela fait appel à la petite fille qui rôde encore en moi. L’idée de me plonger dans des mondes imaginaires me séduit tellement que je ne loupe jamais une occasion d’en rêver. D’ailleurs, depuis toujours, j’ai la réputation d’être une rêveuse !
Vous avez publier « L’enfant du séisme » en 2015, roman fortement inspiré de votre expérience. Pouvez-vous nous dire comment est né ce roman pour jeunes lecteurs ?
Depuis que je suis enfant, je tiens un journal. Quand il nous est arrivé cette histoire, je l’ai comme à mon habitude écrite au jour le jour. Quand tout a été terminé, je me suis dit que je pouvais en faire un livre, comme un témoignage de vie et d’amour pour nos deux filles (les deux héroïnes de l’histoire). Cette histoire a plu à deux éditeurs, c’est ainsi que le roman est paru chez Oskar Editions, et l’album chez Pétroleuses Editions.
Que connaissiez-vous de Haïti avant de vous lancer dans la démarche d’adoption ?
Nous avons adopté notre fille aînée en 2004. Avant, je ne connaissais pas particulièrement Haïti, sauf ce que j’en avais lu et entendu. Je n’y étais jamais allée. Quand j’ai fait le voyage pour partir chercher ma fille, j’ai découvert un monde tellement différent de ce que je connaissais déjà que cela a beaucoup changé ma perception de la vie. Je le raconte dans mon blog : le journal d’une maman (presque) comme les autres, car là aussi, j’ai tenu à écrire mes impressions et mes émotions.
Et qu’avez-vous découvert sur place lors de vos différentes démarches ?
C’est le pays de mes filles, et je ne l’ai pas abordé comme j’aurais visité un autre pays. Je l’ai découvert au travers de mes yeux de maman adoptante. J’ai été bouleversée, bousculée, émue comme jamais. Ce bouillonnement de sensations et de sentiments vous aiguise l’oeil d’une façon particulière.
Haïti, c’est un pays de contrastes, où l’extrême pauvreté côtoie un monde fort, coloré, créatif, ou la nonchalance et la vitalité se mêlent, ou le détachement paisible flirte avec la violence. Haïti, c’est une nouvelle surprise à chaque détour de rue, et des émotions en rafale.
Dans le roman, c’est par la voix de Flore votre fille aînée, elle aussi adoptée, que l’on suit le périple pour voir Alexandra arriver enfin dans votre famille. Pourquoi avez-vous fait ce choix de lui donner la parole ? L’aviez-vous consultée sur ce point ?
La voix de Flore s’est imposée, comme une évidence : Nous avons vécu un véritable drame familial quand nous avons appris que notre fille Alexandra (Adèle aujourd’hui) ne serait pas rapatriée. Mon mari et moi avons remué ciel et terre et avons passé huit mois dans la peur de perdre notre petite. Flore n’est pas une enfant qui montre ses émotions, et nous n’avons jamais su comment elle avait vécu cette période. J’ai alors tenté d’imaginer comment cela s’était passé dans sa tête, en sachant que les enfants peuvent alterner gravité et joie de vivre.
Quand mon roman a été terminé, je lui ai lu, lui ai demandé si cela ressemblait à ce qu’elle avait ressenti. Elle n’a pas su me le dire, mais j’ai lu du soulagement dans ses yeux. Elle m’en dira peut-être plus quand elle sera plus grande.
C’est avec quelques pointes d’humour que vous évoquez votre parcours du combattant, à la fois dans la paperasse qui n’en finit pas… et du fait du séisme qui anéantit tout. Est-ce facile d’écrire sur sa propre expérience ?
Raconter mon expérience a eu des vertus thérapeutiques. J’avais besoin de le dire, de l’écrire, de faire passer le message. Mais j’avais aussi besoin de la fraîcheur des yeux d’enfants pour ne pas me laisser aller à la colère qui m’a tenue tout le temps qu’Adèle était encore en Haïti.
Et puis une chose reste très présente et douloureuse en moi : quand le séisme a eu lieu, je me suis sentie coupable de vouloir rapatrier ma propre enfant, alors que tant d’autres étaient morts ou gravement blessés. J’étais convaincue de mon combat pour la ramener près de nous, mais je ne me sentais pas toujours légitime… Et puis j’ai lu un jour quelque part que sauver une vie c’est sauver l’humanité, et je me suis raccrochée à cette phrase pour tenir le coup.
« L’enfant du séisme » est une belle preuve d’amour adressée à vos deux filles. Quel message souhaitiez-vous passer en vous lançant dans son écriture ?
J’ai voulu leur dire que le fait que je ne les ai pas portées dans mon ventre ne change rien à l’amour inconditionnel que je leur porte, que l’amour d’une maman est plus fort que tout. J’ai voulu qu’elles sachent que je serais prête à combattre tous les séismes pour elles.
Vous récidivez sur ce thème de l’adoption avec l’album « Ma petite soeur du séisme ». En quoi votre approche est différente de celle proposée dans ‘L’enfant du séisme » ?
Ma petite sœur du séisme est la version album de l’histoire. Je travaille depuis longtemps avec Louise Collet, qui est une illustratrice de talent, avec qui nous avons beaucoup d’affinités, et elle a accepté de faire les illustrations du récit. L’album donne donc plus à voir, il s’adresse aux plus jeunes enfants, ce qui permet de faire connaître cette histoire à un plus large public. Ca a été également pour moi une expérience d’une autre façon d’écrire, puisque je devais raconter les événements et faire passer les émotions avec peu de mots. J’ai beaucoup aimé le challenge.
Pensez-vous retourner un jour à Haïti avec vos filles ?
Quand mes filles en feront la demande, je les accompagnerai dans ce voyage qui sera chargé, pour toute notre famille, de découvertes, d’amour et d’émotions.
Propos recueillis par Sandrine Damie (juin 2015)