Comment trouver sa place dans le monde ? Comment s’adapter à une culture qui nous est étrangère ? A travers son roman « la saveur des bananes frites », Sophie Noël nous livre une histoire poignante autour de la quête d’identité et de la tolérance. A mettre en toutes les mains !
Comment est née l’idée d’écrire « La saveur des bananes frites », ton nouveau roman pour les juniors autour de Haïti ?
A l’origine, La saveur des bananes frites était une nouvelle pour adulte, sur l’exclusion, la place des étrangers (celle qu’on leur accorde et la façon dont ils le vivent), la valeur qu’a ce mot, « étranger », auprès de ceux qui pensent ne pas l’être (mais on est tous l’étranger de quelqu’un…).
Et puis, je suis toujours choquée de voir comment sont accueillis les migrants, le manque de respect envers les sans-papiers, la façon qu’ont certains de regarder l’autre s’il n’a pas la même couleur de peau ou la même culture.
Fatalement, ma réflexion s’est tournée vers mes filles, adoptées en Haïti, et donc noires et portant en elles une autre culture. Nous avons beaucoup discuté autour de la place de chaque homme dans notre monde, et je leur ai réaffirmé la légitimité de leur place ici. Mais aussi n’importe où ailleurs.
De ces discussions, nous sommes ressorties convaincues que la Terre offre une place pour chacun, et que chaque homme, unique et complémentaire de l’autre, est partout chez lui. J’ai eu envie de partager nos réflexions, sous forme de fiction, aux autres enfants : ainsi est née « La saveur des bananes frites. »
Dans un précédent album, tu évoquais l’adoption de tes filles en Haïti. Dans ce nouveau roman, t’es-tu inspirée de tes propres expériences ou est-ce une pure fiction ?
Ce nouveau roman est une fiction. Mais les lieux dont je parle me sont familiers : Paris, où j’ai vécu et travaillé, et Haïti, où je suis allée chercher mes filles.
Même si le procédé est inconscient, il est impossible pour un auteur de s’empêcher de mettre de lui dans ses personnages : il y a donc un peu de moi et un peu de mes enfants dans mes héros.
Quel visage de Haïti avais-tu envie de montrer en écrivant ce roman ?
J’ai tout de suite eu envie de faire un parallèle entre la France et Haïti, même si cela paraît surprenant au premier abord. Qu’est-ce que ces deux pays ont en commun ? Je passe de la richesse de la Cité Paradis, dans le Xe arrondissement parisien à l’extrême pauvreté de la Cité Soleil, à Port-au-Prince. Finalement, Saraphina va de l’un à l’autre et reste pourtant toujours la même. Simplement, sa connaissance de la diversité du monde la fait grandir, surtout quand elle comprend qu’elle n’appartient ni à l’une, ni à l’autre des cités, qu’elle est faite de toute cette diversité, et que son propre pays, c’est elle-même.
Et puis, j’ai voulu montrer Haïti telle qu’elle est, sans fard, crûment, avec sa violence et sa misère… mais qui cache un humanisme et une poésie d’une force incroyable.
Peux-tu nous présenter Jude et Saraphina ?
Saraphina est d’origine haïtienne, née en France. Elle a 11 ans et est en sixième dans un collège parisien. Elle est gaie, sérieuse, honnête, aime rire et danser, manger de bonnes choses et écouter les contes du griot africain du foyer où elle vit. Elle est très attachée à sa vie parisienne, et n’est pas du tout intéressée par Haïti dont elle ne connaît rien. Ses racines lui importent peu. Ce qu’elle souhaite, c’est rester avec son ami Malik et grandir en France.
Jude a 18 ans. Lui aussi est sérieux et a un grand sens des responsabilités. Il est né à Port-au-Prince et avait 7 ans quand il a dû fuir Haïti pour la France à la suite d’évènements tragiques. Son pays lui manque, et surtout son père, dont il n’a plus de nouvelles depuis 11 ans. Jude prend soin de sa sœur avec beaucoup d’amour, mais il ne rêve qu’à une chose, retourner en Haïti et tenter de retrouver leur père.
Que va-t-il leur arriver ?
Toute la première partie du roman se situe en France. Mais suite à un quiproquo et des accusations graves, Saraphina et Jude vont être obligés de quitter Paris. Jude va alors emmener Saraphina en Haïti, contre son gré. L’arrivée dans ce pays dont elle ignore tout est pour Saraphina une véritable souffrance. Très entêtée, elle ne fait aucun effort pour s’adapter malgré le très mince espoir entretenu par Jude de retrouver leur père.
Commence alors une nouvelle quête, dans le labyrinthe de la capitale haïtienne et celui des émotions de Saraphina.
Tu as choisi d’évoquer un retour aux sources et une nouvelle vie pour Jude et Saraphina. Comment chacun aborde ce nouveau changement de vie ?
Bien sûr, Jude, qui a déjà vécu en Haïti, n’a pas de problèmes d’adaptation. En revanche, Saraphina, au début, n’accepte pas ce pays où les gens sont trop noirs, où le soleil est trop chaud, où la pluie est trop forte, où la misère est trop présente.
C’est au travers des bananes frites, comme un sentiment de déjà vu, qu’elle va malgré elle accepter de faire ses premiers pas dans la culture haïtienne.
Plus qu’un retour aux sources, c’est surtout une prise de conscience, aidée par les contes et les sages conseils du griot Papa Nsoah, que l’on est partout chez soi. Finalement, ce que Saraphina cherche, c’est sa place, et elle s’aperçoit que sa place, elle la porte en elle.
Tes filles ont-elles été tes premières lectrices pour cette histoire ? Comment l’ont-elles accueillie ?
Mes filles n’ont pas encore lu mon roman, qui vient tout juste de sortir (elles aiment lire mes romans quand ils sont sous leur forme définitive), mais nous en avons beaucoup parlé. Elles en connaissent la trame, les personnages, les thèmes. Ma deuxième fille (9 ans) m’a dit qu’elle avait un peu peur de le lire et de découvrir des choses sur Haïti qu’elle n’est peut-être pas encore prête à entendre… Quand nous avons lu ensemble les premières lignes du livre, elle a pleuré. Je n’ai pas insisté et lui laisse le temps : elle le lira quand elle le sentira.
Que voudrais-tu que l’on retienne de la lecture de ton roman ?
C’est un roman qui évoque des grands thèmes comme le racisme, l’esclavage, la pauvreté, la quête des origines ancestrales…
C’est aussi un roman d’amour et d’amitié. C’est surtout un roman sur la quête identitaire, sujet qui me tient particulièrement à cœur.
J’espère que chaque enfant qui le lira retiendra qu’il est fondamental de voir l’autre dans son unicité et sa différence, sources de richesse.
J’espère aussi qu’il se questionnera sur l’importance de créer et renforcer sans cesse les liens qui permettent de s’adapter à son milieu. Parce que quand on est bien adapté, en harmonie avec les autres, son lieu de vie et surtout soi-même, tout en gardant en soi l’envie de découvrir le reste du monde et des hommes, c’est que notre place est la bonne.
Propos recueillis par Sandrine Damie (janvier 2017)