Depuis 10 ans, la maison d’édition Millefeuille propose des livres sur le patrimoine à destination des enfants. Marjolaine Pereira, son éditrice nous présente sa ligne éditoriale et les différentes collections permettant de découvrir le patrimoine à travers des albums, romans et documentaires.
Pourquoi avez-vous créé votre maison d’édition « Millefeuille », il y a 10 ans ?
C’est un concours de circonstances, la rencontre avec un auteur, Samuel Sadaune, qui m’a fait découvrir ce qu’était le « concept d’ouvrage ».
Dans mon esprit, les idées ont jailli d’abord, puis elles se sont construites, jusqu’à former une évidence : j’hésitais depuis de nombreuses années entre l’économie et les Lettres… l’édition allait rassembler ces deux domaines.
J’ai fait le constat qu’il existait très peu de livres sur le patrimoine destinés aux enfants, à part des documentaires. J’ai donc décidé d’éditer des fictions permettant de plonger dans les époques, les mœurs, les pays, les mythes etc.
Quelle était alors votre ligne éditoriale ?
Le patrimoine culturel a tout de suite constitué le fil rouge de la maison.
Il se décline depuis le début en maritime, architectural, historique, légendaire, naturel… avec un volet important dédié au Moyen Âge, ma spécialité.
L’avez-vous fait évoluer au fil des années ?
Bien sûr, car un concept qui n’évolue pas est un concept voué à disparaître.
Nous avons édité exclusivement des albums les 6 premières années, puis des romans jeunesse et ados ont vu le jour.
En 2010, ce sont les beaux-livres qui ont fait leur apparition.
Je ne veux pas scinder les publics : le patrimoine est un sujet qui s’accompagne, qui se transmet d’une génération à une autre, d’une expérience à une innocence.
Nos livres sont accessibles à une multiplicité de lecteurs, de maturités et d’âges différents, aux lectures complémentaires.
Associer le livre et le patrimoine est votre leitmotiv. Comment choisissez-vous les thèmes ou les régions dont vous allez parler dans vos albums, romans ou beaux livres ?
Les projets et les envies sont très larges, souvent subjectifs. Je confronte toujours ces projets à leur portée commerciale avant de décider si je les édite ou non. Il arrive fréquemment que des projets restent dans les tiroirs, le temps de trouver l’alchimie idéale entre concept, choix des auteurs, originalité de création et réseau de vente.
Si je décide d’éditer un ouvrage à la portée commerciale très restreinte, c’est parce que j’ai à cœur de les inscrire dans le paysage éditorial. Mais je ne peux me le permettre que de temps en temps, lorsque d’autres titres et collections tournent suffisamment. J’aimerais faire au moins un jour un livre sur toutes les régions de France, notre patrimoine est si riche ! Pour en citer une en particulier, il y a le Berry, à son architecture si marquée, au bocage préservé… encore imprégné de mes souvenirs d’enfance 😉
Vous avez choisi de parler de patrimoine aux enfants dans vos livres. Pourquoi ce public en particulier ?
L’idée m’est venue en revenant d’un voyage au Portugal : sur le chemin du retour, j’avais le temps de m’arrêter sur un site encore pour une ultime visite. J’avais repéré deux abbayes toutes deux superbes.
Mais il fallait choisir ! J’ai opté pour celle que le Guide Vert racontait, à partir de l’histoire de ses occupants. L’autre abbaye était simplement décrite, de manière académique.
L’histoire de la première m’a fait rêver, elle m’a donné à imaginer le lieu habité. Je me suis dit que pour mener les enfants au patrimoine, il fallait faire de même : leur raconter une histoire, ou l’histoire du lieu, ou une histoire crédible qui attise leur curiosité.
Je voulais que les enfants deviennent les prescripteurs des visites, au lieu que les parents les trainent laborieusement sur les lieux touristiques ! Imaginez : « Papa, Maman, est-ce qu’on peut aller voir le château Machinchose dont mon livre raconte l’histoire ? Il paraît qu’il existe encore !! ». Et ça fonctionne.
Pouvez-vous nous présenter la collection « Patrimoine de légendes » ? A qui s’adresse-t-elle ?
Le projet de cette collection est de partir d’un mythe (donc universel et intemporel), ayant un ancrage culturel fort.
Le premier album paru s’intitule Au pays d’Ys, autour du mythe de l’Atlantide.
Il y a en effet des citées englouties dans diverses régions du monde, et plusieurs même sur nos côtes : au large de la Corse, de Crozon ou près des Sept Îles, pour ne citer qu’elles.
La collection évolue actuellement vers des coutumes ou une culture universelle, comme c’est le cas du carnaval (Rio, Venise, Dunkerque, Nice…), traité dans Le Roi se sauve. Cette collection est née du premier concept d’ouvrage élaboré suite à la rencontre avec Samuel Sadaune… le premier livre, Au pays d’Ys, est paru seulement en 2008, comme quoi de l’idée à sa réalisation, il faut être patient !
« La Table ronde » est aussi une de vos séries phares. Pourquoi avez-vous choisi de donner une nouvelle vie à la légende du roi Arthur ?
Là encore, tout est parti d’un constat, d’une frustration, personnelle même : je ne trouvais pas pour mes enfants et ceux de mon entourage de livres sur les histoires de chevalerie médiévale, moi grande adepte de littérature de Chrétien de Troyes !
Des gros livres de conte, avec de grandes pages illustrées et des lignes de texte à n’en plus finir, cela existait bien, mais des albums… que nenni. Qu’à cela ne tienne, j’allais les créer !
L’idée remonte à 2007. La collaboration avec Anne Ferrier sur d’autres albums m’a donné envie de lui proposer le projet, car elle avait rédigé un mémoire de maîtrise sur ce sujet, qui la passionnait, et car son écriture était très adapté aux jeunes lecteurs.
Anne a choisi un corbeau comme narrateur, pour faire le lien entre tous les personnages de la Table ronde. Nous lui avons imposé de ne traiter que de l’enfance des personnages, ce qui a nécessité des recherches de sa part, puis une libre interprétation dans l’écriture.
Le ton est drôle, frais, léger, tout comme je l’imaginais ! Le texte de Merlin et celui d’Arthur étaient prêts dès 2008. Mais il a fallu attendre que je rencontre Christelle Le Guen, avec un coup de cœur pour la tendresse, la poésie de son travail, pour que les personnages d’Anne prennent vie.
Le premier album, Merlin l’enfance d’un enchanteur, est paru en octobre 2010. Aujourd’hui, nous travaillons sur le personnage de Perceval, haut en couleurs également, qu’Anne et Christelle traitent avec beaucoup d’humour. Le titre : Perceval, l’enfance d’un rêveur… vous imaginez ?!
Vous avez édité un livre tout à fait étonnant, réalisé avec l’école publique de Carnac : « le guide gourmand des Korrigans ». Pouvez-vous évoquer ce projet et sa réalisation pour nous éclairer sur votre implication dans le partage de connaissances autour de la chaîne du livre ?
C’est effectivement un livre extra-ordinaire, dans tous les sens du terme, comme nous n’en réaliserons qu’un sans doute dans l’histoire de Millefeuille.
A la base de ce projet, il s’agit d’une rencontre avec le directeur de l’éco-école, Jean-Marc, et avec une maman d’élève coordinatrice du projet, Isabelle, tous deux impliqués au-delà de l’entendement dans la démarche pédagogique.
Le thème du livre était l’alimentation. Toute l’école a travaillé sur ce projet pendant 18 mois, rendant visite à des maraîchers, artisans, commerçants, semant des graines, observant les plantes se développer, récoltant les céréales…
Une diététicienne est intervenue dans l’école plusieurs fois. Les Editions Millefeuille sont intervenues également dans toutes les classes autour de la chaîne du livre, puis ont accompagné chaque classe dans la réalisation de sa partie.
Les enfants et leurs enseignants ont ainsi, de la petite section au CM2, collecté des informations, dessiné, photographié, créé des centaines d’éléments épars, que nous avons traité et intégrés petit à petit dans une maquette créée sur mesure.
Le livre est passé d’un projet de 96 pages à un album de 144 pages d’une très grande richesse. Ce fut pour tous une grande aventure et une belle expérience. 600 exemplaires ont été imprimés en tout, la très grande majorité diffusée et vendue par les enfants eux-mêmes lors de vernissages, salons, marchés de Noël etc. lors desquels ils ont joué le jeu de véritables auteurs et illustrateurs, non pas dans leur tour d’ivoire, mais sur le terrain, proches de leurs lecteurs.
Les Editions Millefeuille accompagnent presque depuis leur création divers projets scolaires, plus encore aujourd’hui d’ailleurs. Mais le Guide gourmand des Korrigans garde un statut particulier dans les Annales !
Quelles seront vos prochaines parutions ?
Viennent de paraître :
– Sacré Chat ! d’Isabelle Wlodarczyk et Virginie Grosos
Le thème en est la Fête des fous, lors de laquelle un chat, Amstramgram, prend la place du roi Albert le Chauve, à qui il restait tout de même des cheveux sur la tête. Petite merveille d’écriture, d’humour et d’illustration, ce livre fut un régal à réaliser avec ses auteurs, et, à peine reçu en stock, il reçoit un accueil extrêmement positif et encourageant.
– Lettres enluminées du Moyen Âge, album de lettres décorées comme au Moyen Âge, issues des fonds anciens des bibliothèques de France. Chaque lettre renvoie à une explication très courte et très simple sur le thème de la fabrication du livre au Moyen Âge. Avec des lettres à reproduire et mettre en couleurs soi-même !
Fin avril :
– Dame Cigogne, mission Terre d’Afrique, de Vanessa Solignat et Pascaline Mitaranga : un très beau conte illustré avec fraîcheur et humour là encore, où une cigogne va accomplir son premier voyage en Afrique à la recherche de son petit. Une manière tout à fait délicate d’aborder la migration et le patrimoine naturel par ses auteurs !
– Perceval, l’enfance d’un rêveur, comme annoncé plus haut, d’Anne Ferrier et Christelle Le Guen, suite de la collection Table ronde.
– Mimi Biscuit et la fête des fraises, de Delphine Ratel et Virginie Grosos, suite de Mimi Biscuit et la fée Cabosse, sur le chocolat et le patrimoine gourmand.
Propos recueillis par Sandrine Damie