« Ce que l’océan ne dira jamais » d’Aurélie Dye-Pellisson dresse le portrait d’une jeune française partie à l’assaut de l’eldorado américain en 1899… et qui sera sauvée de ses désillusions par l’écriture.
L’histoire de « Ce que l’océan ne dira jamais » suit Zélie, une jeune femme des Hautes-Alpes qui, en 1899, quitte la rudesse de son village natal pour rejoindre ses frères aînés (avec son jeune frère) en Californie. Elle délaisse une promesse d’embauche de devenir l’institutrice du village, attirée par les promesses d’une vie meilleure à San Francisco.
Inspirée par l’exil économique de l’époque, cette migration longuement attendue la projette dans une San Francisco effervescente, où elle va devoir lutter pour son indépendance : doit-elle s’inscrire dans le projet de ses frères ou vivre de ses propres ailes ?
Le roman mêle roman d’initiation et fresque historique, abordant des thèmes comme la mémoire, le rêve américain, l’émancipation féminine et le pouvoir de l’écriture face à l’oubli. Zélie incarne une figure à contre-courant, refusant les rôles imposés aux femmes de son temps.
Et l’océan mis en avant dans le titre, me direz-vous ? Omniprésent, il symbolise à la fois l’espoir et l’engloutissement des rêves avec les illusions qui s’envolent au fil des mois et les vies qui disparaissent dans un naufrage sans que personne ne s’en émeuve. Cela résonne si fort avec ce qu’on vit encore aujourd’hui !
Du rêve américain aux désillusions
Le rêve américain s’incarne dès le départ dans la décision de Zélie de quitter son village de montagne pour rejoindre ses frères à San Francisco. Ce choix reflète une réalité historique : à la fin du 19e siècle, nombreux sont ceux qui, poussés par la misère et attirés par les récits de bonne fortune outre-Atlantique, ont vu dans l’Amérique une terre de possibles. Pour Zélie, ce rêve est celui d’une émancipation personnelle et sociale : grâce à ses frères, pionniers de la famille qui travaillent dur sur place, elle va pouvoir accéder à ce « nouveau monde ». San Francisco, ville en pleine expansion, symbolise cet eldorado où tout semble à portée de main – richesse, liberté, modernité.
La ville, décrite avec ses contrastes – entre l’effervescence du progrès et la brutalité des inégalités (notamment bien décrites envers la population chinoise) –, devient un espace où son rêve se fissure. Un amour déçu lui donne le déclic : écrire est vital pour elle.
Le silence où comment lire entre les lignes
L’écriture devient sa force, jusqu’à ce que le naufrage du Princess Sophia en 1918 vienne bouleverser son destin : 353 personnes y perdent la vie. Rapidement éclipsé par l’Armistice, ce drame ne peut pas rester sous silence pour la jeune femme : Zélie va redonner vie, à sa manière, aux oubliés.
Ce que l’océan ne dira jamais, c’est aussi le silence qui s’immisce dans les missives envoyées aux parents sur l’autre rive : ne pas les décevoir, leur donner une image positive de l’exil, occulter les choix qui pourraient les rendre tristes, etc.
Ce que l’océan ne dira jamais, c’est qu’en Amérique comme en France, au 19e siècle, la voix de la femme n’a que peu d’importance. Heureusement, quelques hommes éclairés font fi des a priori. Un rédacteur en chef audacieux, rare figure masculine à briser les barrières de son temps, offre à Zélie et à d’autres femmes une plume pour exister dans un monde qui les ignore.
Un très beau récit contre l’oubli et assurément une ode à l’écriture !
Sandrine Damie
(et hop une lecture de plus dans le cadre du challenge « The American Break« )
« Ce que l’océan ne dira jamais » d’Aurélie Dye-Pellisson
Editions Héloïse D’Ormesson
19 € – format numérique 13,99 €
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