Un livre dans ma valise Asie,Lecteur ado Spécial Angoulême : entretien avec Richard Marazano

Spécial Angoulême : entretien avec Richard Marazano


Yin et le dragon - Richard Marazano - Rue de Sèvres

Le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême se déroule du 28 au 31 janvier 2016. Je saisis cette occasion pour découvrir l’univers de la BD, en débutant par « Yin et le dragon », la nouvelle BD de Richard Marazano et Xu Yao. Direction la Chine !

Yin et le dragon - Richard Marazano - Rue de SèvresVous êtes scénariste et story-boarder de « Yin et le Dragon ». Comment vous est venue l’idée de cette bande dessinée ?
Luo Yin, la dessinatrice du rêve du papillon, m’avait présenté Xu Yao qui avait été l’un de ses meilleurs élèves. Nous nous sommes donc rencontrés à Beijing et nous avons partagé nos goûts, nos idées et nos sentiments afin de comprendre ensemble quel genre d’histoire serait le plus proche de nos sensibilités. L’histoire de Yin et le Dragon s’est alors imposée comme une évidence. La question des rapports entre la tradition et la modernité, la transmission des valeurs, le rapport entre les générations, qui sont autant de thèmes abordés dans « Yin et le Dragon » sont des sujets qui m’ont toujours intéressé. J’ai aussi toujours aimé les contes et les récits fantastiques. Ils m’ont accompagnés toute ma vie.

Cette aventure devait aussi permettre à Yao d’exprimer sa sensibilité sur des personnages simples avec justesse, et le cadre du récit devait permettre d’exprimer certaines de mes idées et émotions sur les rapports humains et sur les sujets abordés dans cette histoire. Le nom de l’héroïne est un hommage à Luo Yin qui a permis cette belle rencontre.

Dans cette BD, vous revisitez le mythe chinois du dragon noir. Pouvez-vous présenter cette légende aux lecteurs ?
Dans la tradition chinoise les dragons ne sont pas des entités positives, ce sont des personnages inquiétants. Yao tenait à ce que nous donnions ce sentiment au lecteur. Le personnage de Xi Qong, le grand Dragon noir de la fin des temps, est une entité de la tradition taoïste classique, mais nous avons pris des libertés avec la tradition de cette mythologie afin de mieux servir notre aventure. C’est la symbolique de ces mythes qui nous intéressait plus que le respect à la lettre du corpus taoïste. Ce grand Dragon noir dans notre aventure agit à la fois comme une menace réelle sur le destin des hommes et comme symbolique des tendances d’autodestruction de l’humanité.

Yin et le dragon - Richard Marazano - Rue de Sèvres« Yin et le Dragon » débute au moment de l’offensive du Japon sur la Chine en 1937. Pourquoi avez-vous choisi cette période en particulier ?
La seconde guerre mondiale et la révolution qui suit constituent une période extrêmement importante pour la culture chinoise contemporaine. C’est l’époque de la fin de la culture traditionnelle et de son entrée violente dans la modernité (avec plus de 20 millions de morts civils pendant la guerre). Yin, notre héroïne est une enfant, son grand père a vécu dans la Chine traditionnelle, elle sera le symbole de la Chine nouvelle. C’est l’échange entre ces deux cultures apparemment contradictoires au travers de la relation entre ces deux personnages qui justifie le contexte de cette histoire. La finalité de cette aventure que je ne vous révèlerai évidemment pas aujourd’hui (Il faudra lire le dernier tome pour la découvrir) justifie également la nécessité pour ce récit de s’inscrire dans cette période charnière de l’histoire chinoise.

Vos héros sont souvent révoltés ou en désaccord avec la société. Est-ce également le cas dans « Yin et le dragon » ?
C’est effectivement le cas. Utamaro, le capitaine japonais n’accepte pas les buts de la guerre de conquête engagée par le Japon. Il semble aussi faire parti d’un groupe qui n’est pas nommé dans le premier tome et qui semble avoir des valeurs humaniste qui l’oppose à son époque et au pouvoir militaire. Yin elle-même refuse le rôle qu’on veut lui faire vivre, elle aspire à une liberté totale, et nouvelle pour la femme qu’elle va devenir.

Le sentiment de Yin est celui de l’émancipation d’une génération entière de jeune chinois qui ont voulu s’affranchir des règles traditionnelles particulièrement restrictives pour les femmes. C’est ce désir commun d’émancipation et la révolte qu’il génère qui va permettre la rencontre de nos personnages au delà de leurs différences culturelles et générationnelles.

Pouvez-vous dresser le portrait de la jeune Yin ? Pourquoi avez-vous choisi une fille comme personnage principal ?
Yin est une gamine orpheline de père et de mère élevée par un grand père généreux, mais traditionnel et occupé par la pêche qui leur permet à peine de survivre. Les conditions de l’époque, mais aussi sa situation familiale ont fait grandir Yin prématurément. Elle n’en fait qu’à sa tête, mais en toute chose elle est généreuse et optimiste.

La bande dessinée manque d’héroïnes qui soient autre chose que des stéréotypes masculins plutôt sexistes. La situation a évidemment beaucoup progressé depuis les années 80, mais il y a encore beaucoup à faire. J’ai aussi deux petites filles et je suis sensible à leur besoin de s’identifier à des personnages féminins qui ne soient pas ceux qui ont été validés a priori pour elle par la société de consommation qui présente justement une image de la femme réactionnaire et machiste. D’autre part, l’un des faits majeurs de la révolution chinoise qui suit immédiatement la guerre c’est l’émancipation des femmes. Il était donc évident que le personnage central de « Yin et le Dragon » devrait être une jeune fille qui préfigurerait cette émancipation.

Comment s’est passée la collaboration avec Xu Yao ?
Le plus simplement du monde. Yao est non seulement un bon camarade, mais également un auteur très humble et incroyablement exigeant avec lui même. Nous essayons de nous faire plaisir et nous avons toujours à l’esprit le besoin de partager ce plaisir avec nos lecteurs, jeunes ou moins jeunes. Je crois que c’est le partage de sentiments humanistes qui nous permet d’avoir des points de vue aussi proches sur notre projet.

Qu’aimez-vous particulièrement dans les dessins de Xu Yao ?
Yao a une extraordinaire sensibilité et une grande capacité à faire vivre les personnages, à transmettre leurs émotions par leurs expressions, par leurs gestes et par son très d’une grande légèreté. La simplicité de son trait n’est jamais un défaut et on sent sa présence dans chaque élément de son dessin. Etre présent dans une collaboration pour ses lecteurs, c’est essentiel. 

Comment définiriez-vous le style graphique de cette BD ?
Je crois que c’est tout simplement de la bande dessinée semi réaliste. Ce style est d’ailleurs très adapté à notre récit, puisqu’il permet à la fois le traitement d’éléments symbolistes et réalistes.

Pensez-vous déjà à une suite proposant de nouvelles aventures de Yin ?
L’aventure de Yin et de son dragon d’or se déroulera sur trois tomes avec un début et une fin qui sont liés à la fois au thème de cette aventure et du destin des personnages. Je ne suis pas certain pour l’instant qu’il soit pertinent d‘imaginer une suite au delà de ce triptyque. Mais nous n’avons pas terminé d’écrire ce récit, et peut-être qu’en chemin, l’envie ou le besoin de faire vivre d’autres aventures à nos personnages deviendra une évidence.

Toutefois nous avons également un autre projet assez original auquel nous aimerions donner vie. Sans doute devrons nous faire des choix…

Propos recueillis par Sandrine Damie

Yin et le dragon
De Richard Marazano et Xu Yao
Rue de Sèvres
14 euros

En complément, découvrez la chronique de Livres et merveilles sur la BD :
http://www.livres-et-merveilles.fr/2016/03/yin-et-le-dragon-creatures-celestes-richard-marazano-yao-xu-rue-de-sevres.html

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